Pluie d’or (noir) sur les comptes de l’Etat

de: Services publics

En 2021, le Canton a engendré un bénéfice important, alors qu’il avait prédit un déficit. Pour les syndicats de la fonction publique, cet excédent doit être réinvesti dans le service public. Droite et patronat, qui sortent renforcés des élections du 1er avril, veulent au contraire baisser les impôts pour les riches.

photo Eric Roset

«Présentés jeudi 30 mars, les comptes 2022 de l'Etat de Genève témoignent d'une santé financière insolente» [1]. L’excédent se monte à 727 millions de francs. Il aurait été bien supérieur si le Conseil d’Etat n’avait pas décidé de verser 606 millions afin d’amortir plus rapidement sa dette envers la caisse de pension de la fonction publique (CPEG). Les syndicats de la fonction publique exigent que cette manne soit investie dans les services publics et leur personnel. La droite, qui disposera d’une majorité absolue au Grand Conseil, ne l’entend pas de cette oreille. Suivant les avis de la Chambre du commerce, de l’industrie et des services de Genève (CCIG), elle veut imposer de nouvelles baisses fiscales.

Accro au négoce

Le juteux bénéfice de l’Etat genevois s’explique par les profits gigantesques amassés l’an dernier par les multinationales actives dans le négoce des matières premières et qui ont leur siège dans le canton. Trafigura, géant du commerce pétrolier, a ainsi annoncé un bénéfice de 7 milliards – et versé 1,7 milliard de dividendes à ses actionnaires-employé·e·s, qui achètent à tour de bras des propriétés somptueuses dans le canton. Vitol, un autre poids lourd du commerce des hydrocarbures, a triplé son bénéfice net, passé à 15 milliards de dollars [2]. Les profits des négociants ont dopé les rentrées fiscales du Canton.

Déficits instrumentalisés

Le budget 2022 présenté par le Conseil d’Etat genevois prévoyait un déficit de 93 millions. Comme pour l’année précédente, l’écart est donc abyssal entre les prévisions de l’exécutif et la réalité des comptes. Cet écart n’a pas manqué de faire réagir les syndicats. «Année après année, des budgets hypothétiquement déficitaires justifient d’altérer directement la qualité des services publics. Si des postes sont parfois accordés, ils ne le sont jamais à la mesure des besoins qui augmentent face à la pression démographique et l’accroissement des problèmes sociaux», dénonçait le Cartel intersyndical de la fonction publique et du secteur subventionné, dont le SSP – Région Genève est membre, après la publication des comptes. Et de compléter en pointant les problématiques rencontrées sur le terrain: «Les pressions restent fortes sur l’Office cantonal de l’emploi, les Hôpitaux universitaires genevois, les soins à domicile, le service pénitentiaire, l’éducation sexuelle, l’Hospice général et l’école. Et chaque année, une énergie importante est consacrée à réclamer le respect des mécanismes salariaux».

Les inégalités se creusent

Pour les syndicats de la fonction publique, l’augmentation des revenus de l’Etat en 2021, puis en 2022, souligne à nouveau «une vérité dérangeante: les crises n’atteignent pas les plus riches, bien au contraire». Pour preuve, à Genève, les fortunes supérieures à 3 millions de francs ont triplé entre 2011 et 2018. Pendant ce temps, la précarité continue à croître, et les plus pauvres et les retraité·e·s «souffrent de l’absence de moyens alloués par l’Etat».

Dans ce contexte, le Cartel intersyndical exige que les minima sociaux soient augmentés et que le bénéfice de l’Etat soit réinvesti en direction du service public. Les syndicats demandent notamment: la création suffisante de postes dans les secteurs en souffrance, l’indexation des rentes versées par la CPEG et des salaires, ainsi qu’une revalorisation des professions essentielles. Pour ce qui est des conditions de travail, les syndicats revendiquent une réduction du temps de travail sans baisse de salaire, et la mise sur pied d’un congé parental.

«L’Etat se doit d’être un vecteur fort de la transition écologique», complète le Cartel. Dans cet objectif, il doit offrir des postes de travail et des formations utiles à l’environnement, et garantir un transport collectif pour les employé·e·s travaillant le soir et de nuit.

Changer de paradigme

Plus fondamentalement, le Cartel intersyndical «souhaite changer le paradigme qui veut que les besoins soient sans arrêt minimisés, voire niés». Il propose dans ce sens d’entamer avec les autorités genevoises «les discussions utiles à construire des budgets équilibrés, grâce à l’examen des besoins et une plus juste répartition des richesses». Cela s’annonce compliqué: après les élections du 1er avril, la droite dominera largement le Grand Conseil. Comme le souligne Philippe Bach, «la législature qui s’amorce se déroulera sous les auspices du moins d’impôts, du moins d’Etat et du moins de social» [3]. C’est dans la rue et sur les lieux de travail que la résistance devra s’organiser.


[1] Le Temps, 31 mars 2023.
[2] Le Temps, 1er avril 2023.
[3] Le Courrier, 3 avril 2023.