Sur son site internet, la fondation Clair Bois se présente de la manière suivante: «La fondation Clair Bois a pour mission première d’assurer un accompagnement adapté aux enfants, adolescents et aux adultes polyhandicapés qui lui sont confiés. Dans un environnement chaleureux, elle offre à ceux qui vivent avec un fort degré de dépendance un accompagnement professionnel et attentif, propice à la progression et à l’épanouissement ». Cet autoportrait est mis à mal depuis plusieurs mois. Le 1er mars 2022, la RTS se faisait l’écho de situations de maltraitance envers un résident polyhandicapé. En juin 2023, les salarié·es témoignaient de leur sentiment d’épuisement professionnel. La dégradation de la prise en charge, et donc la menace à la dignité des résident·es, était déjà au cœur des préoccupations de plusieurs parents de résident·es depuis de nombreuses années. La jonction entre personnel, parents et résident·es se fera à l’automne 2023 à travers la constitution d’un collectif réunissant des dizaines de personnes, qui organisera une séance publique en octobre et sera reçu en décembre par le conseiller d’État Thierry Apothéloz. Récit d’une rencontre avec les parents mobilisé·es et la représentation syndicale.
Qui êtes-vous et quelle est votre démarche?
Nous sommes un collectif de parents et proches de personnes en situation de handicap accueillies dans un Établissement pour personnes handicapées (EPH), principalement à Clair Bois. Nous œuvrons pour le bien-être de nos proches, pour améliorer leurs conditions de vie en institution, qu’ils·elles soient internes ou externes, et veiller au respect de leurs droits. L’EPH sera leur lieu de vie durant toute leur existence. Il s’agit d’une population extrêmement vulnérable souffrant pour la plupart de handicaps sévères et ne pouvant généralement pas s’exprimer. Partageant l’expertise de leurs besoins fondamentaux avec l’équipe, nous nous mobilisons sur le terrain afin de faire entendre leurs voix, leurs besoins et leurs aspirations.
Quel est votre regard sur la situation de vos proches dans cette institution?
Une baisse des activités est constatée, les thérapies et ateliers sont régulièrement annulés, il y a de moins en moins de temps en suivi individuel, davantage en collectif. Nous comprenons qu’il puisse arriver que les activités doivent être annulées, mais cette situation a tendance à devenir la norme. Les résident·es en situation de polyhandicap passent de nombreuses heures dans leur chambre et au lit sans aucune occupation. Ils·elles sont trop souvent couché·es vers 18 h et peuvent rester au lit quatorze ou quinze heures de suite. La sieste peut ensuite durer une heure, voire deux. Cela ne correspond pas à leurs besoins, bien au contraire. Ils·elles aspirent comme tout un chacun à une vie remplie d’activités, de sorties, et ce, pour favoriser une progression ou un maintien des acquis. Or, nous avons pu constater que certain·es de nos enfants régressaient au niveau de leurs compétences par manque de suivi individuel. L’ennui qu’ils·elles ressentent en l’absence d’activité individuelle peut par ailleurs être générateur d’abus de médication. Nous déplorons depuis des années – et bien avant le Covid-19 – que le personnel fixe soit en sous-effectif régulièrement: postes non remplacés, burn-out, mutations, restructuration.
Le début de la dégradation constatée se situe à l’ouverture de Clair Bois Gradelle, il y a huit ans déjà. Le recours aux employé·es intérimaires et occasionnel·les est devenu une pratique systématique précarisant ainsi la qualité de l’accompagnement des résident·es. Elle a aussi pour effet d’ajouter une pression supplémentaire sur les employé·es fixes. La stabilité d’une équipe d’encadrant·es en suffisance et qualifié·es est importante pour l’équilibre et l’épanouissement des résident·es. C’est la base à la création des liens amicaux, de complicité et de confiance entre résident·es, personnel et familles.
On nous expose qu’il y a une pénurie d’employé·es formé·es. Effectivement, nous constatons beaucoup de départs, volontaires ou non, d’employé·es qui disaient avoir une vocation pour ce métier. Nous observons aussi
que de bon-ne-s apprenti·es fraîchement diplômé·es ou des intérimaires ou employé·es occasionnel·les ne sont pas engagé·es. Nous remarquons encore que le temps accordé pour la prise en charge de nos proches diminue car il y a de plus en plus de travail administratif. Les responsables d’équipe sont de moins en moins en contact avec les résident·es, les prises de décision se font donc par des personnes qui ne sont pas sur le terrain et n’ont pas une vision directe des difficultés rencontrées.
Qu’en est-il de vos liens avec les employé·es?
Nous nous sommes très vite rendu compte que nos critiques rejoignaient plusieurs constats effectués par les collaborateurs·trices, ce qui a constitué la base de notre rapprochement et de notre action commune, qui a notamment mené à la rencontre du 12 décembre 2023 avec le conseiller d’État Thierry Apothéloz. À la suite de nos démarches et dénonciations, une personne de la direction de l’OAIS (Office de l’action, de l’intégration et de l’action sociales) nous a demandé de prendre en compte la grande souffrance du personnel subissant le regard extérieur des gens suite à nos critiques. Or, dans le même temps, nous avons appris que la direction avait émis des directives afin de contrôler la communication entre soignant·es et parents, ce qui est absolument regrettable. Nous aimerions ici clarifier une fois pour toutes que ce qui nous mobilise est le bien-être de nos enfants et nous savons que cela passe par le bien-être du personnel. Nous tenons à ce que le personnel de proximité puisse exercer son travail dans de bonnes conditions car nous pensons que le bien-être de nos enfants et proches est indissociable du bien-être du personnel sur le terrain.
Comme nous l’avons déjà fait à de nombreuses reprises, nous aimerions rassurer les collaborateurs·trices et leur dire que nous sommes reconnaissant·es envers toutes les équipes de personnel qui se consacrent au quotidien aux personnes dépendantes. Nous les remercions sincèrement pour toute l’attention qu’elles portent à nos proches. Nous œuvrons pour que les conditions de travail s’améliorent et pour que la sérénité revienne dans les appartements. En outre, nous sommes convaincu·es que les problématiques et les démarches dépassent largement l’institution Clair Bois.
Comment pensez-vous vous faire entendre par l’institution?
Pour nous, il est primordial que le droit de participation, entré en vigueur depuis plus de dix ans, soit enfin appliqué (LIPPI art. 5, al. 1 lit. E et LIPH art. 13 lit. M). Le droit de participation avec voix décisionnelle au sein du Conseil de fondation de l’EPH est pour nous incontournable. En effet, nous avons une réelle connaissance des situations de handicap et nous avons besoin d’être entendu·es afin que les problématiques que nous soulevons soient reconnues, traitées et que leur solution dure sur du long terme.
Actuellement, malgré plusieurs ateliers de travail, des médiations, des enquêtes de satisfaction, nous ne sommes pas entendu·es. Les problématiques que nous soulevons ne sont pas reconnues, nos propositions sont pour la plupart balayées.
À la suite de nos demandes répétées, nous avons obtenu deux places au sein du Conseil de fondation, une pour les représentant·es des enfants mineur·es, l’autre pour les représentant·es de personnes adultes. Cela est insuffisant. Nous avons besoin d’être mieux représenté·es et, surtout, de faire partie du bureau du Conseil de fondation.
En outre, nous découvrons avec stupéfaction que ces représentant·es seraient choisi·es par le Conseil de fondation lui-même et ce, contrairement aux règles démocratiques prévalant en de tels cas. Au demeurant, une telle exigence démontre une vision rétrograde de la société, vision qui, dans le contexte du handicap, ne manque pas de nous interpeller fortement. Nous aurions besoin également de pouvoir nous rencontrer entre représentant·es en amont des séances du Conseil de fondation pour parler des problématiques et des améliorations souhaitées.
Un PV de chaque rencontre doit par ailleurs garder trace de nos demandes et de leur suivi de la part de la direction, du Conseil de fondation et/ou de l’État. Pour les parents ou proches désirant se rencontrer, il est indispensable qu’une liste de parents consentant·es soit accessible. Là encore, il est étonnant de constater que des pratiques élémentaires mises en place depuis des lustres dans nos écoles ne peuvent tout simplement pas avoir droit de cité dans un EPH.
«Les salarié·es ne se retrouvent plus dans leur pratique professionnelle»
En tant que syndicat, nous trouvons la démarche de ces parents admi- rable car ils·elles ont immédiatement compris que le système d’organisation du travail était au cœur des difficultés qu’ils·elles pouvaient constater dans la prise en charge de leurs proches. Leurs critiques visent le fonctionnement de l’institution et non le personnel soignant. Les salarié·es de Clair Bois ont d’ailleurs tout de suite soutenu la démarche des parents car ils·elles ont compris que les parents soutenaient le personnel.
Les salarié·es de Clair Bois ont transmis des témoignages anonymes – ce qui est en soi un indice du climat régnant – concernant plusieurs sites, que nous avons fait suivre au conseiller d’État lors de la rencontre du 12 décembre. Il y a plusieurs raisons à la dégradation des conditions de travail et à la baisse de la qualité des soins et des prestations. Les constats sont simples: des collaborateurs·trices de différentes professions ne se retrouvent plus dans leur pratique professionnelle. Le taux d’encadrement est passé d’un·e encadrant·e pour un résident·e à un taux de trois pour six, voire quatre pour sept. Le personnel a aussi confirmé que les stagiaires et les apprenti·es sont inclus·es dans l’effectif d’encadrement. Tout cela provoque l’épuisement du personnel. La direction se plaint d’un fort taux d’absentéisme mais ne semble pas se préoccuper des raisons de ces absences. Or, de notre point de vue, les raisons ne manquent pas. Les salarié·es se sont engagé·es dans ce métier dans le but de contribuer au bien-être des résident·es, ce qui implique des contacts réguliers et suivis avec ces derniers·ères. De bonnes conditions de prise en charge contribuent à diminuer les comportements problématiques des résident·es en proie à l’ennui. À l’heure actuelle, les salarié·es sont surchargé·es en raison des absences à compenser et se sentent malheureux·ses de ne pas pouvoir faire un meilleur suivi des résident·es. Cette perte de sens du travail a un impact évident sur leur qualité de vie, donc sur leur santé.
Le conseiller d’État nous a également expliqué qu’il est difficile de trouver du personnel formé. Nous avons pu l’informer qu’une grande partie des salarié·es formé·es a démissionné il y a deux ans lorsque la direction a lancé un projet dans lequel il est fortement fait recours à des «auxiliaires de soins».
Depuis la délégation des actes médico-techniques à des non-soignant·es – à laquelle le SSP s’est toujours opposé –, il a été remarqué par le personnel une baisse de la qualité des soins. Le personnel est inquiet et stressé. Bon nombre de soins sont effectués par du personnel qui fait partie de la catégorie des non-soignant·es, des auxiliaires de soins ou des intérimaires qui sont très peu formé·es (entre une heure et une journée de formation), n’ont pas la connaissance réelle du-de la résident·e ni des traitements et encore moins des actes de soins à prodiguer. Le personnel soignant qualifié se retrouve écarté des soins pendant que des personnes non-soignantes réalisent les actes médico-techniques, dont certains traitements médicaux, ce qui était auparavant réservé au personnel formé. Les risques de traitements inadaptés sont évidemment multipliés par cette situation. L’alliance entre parents et salarié·es doit poursuivre son action car la situation à Clair Bois est révélatrice d’un certain nombre de dysfonctionnements majeurs très préoccupants en lien avec la question de la dignité des personnes dépendantes. Bien que les situations soient différentes, la question du futur de la prise en charge d’une autre catégorie de patient·es, les personnes âgées dans les EMS, inquiète également beaucoup le SSP, surtout en lien avec la révision EFAS. En effet, EFAS renforcera les pressions pour faire des économies sur le dos du personnel et donc transformer l’accompagnement en simple «gardiennage». Une raison de plus pour signer le référendum lancé par le SSP!
Laurentina Cristina Vais, déléguée syndicale SSP