La droite veut «lutter contre l’endoctrinement dans l’instruction publique»? Les enseignant.es aussi

de: SSP-Enseignement (Nicolas Lampert)

Photo: Eric Roset

Que la droite majoritaire au parlement s’attaque au contenu de ce qui est transmis et enseigné à l’école n’était qu’une question de temps. Après s’être attaqués aux budgets de l’éducation, aux conditions de travail et de formation des enseignant-e-s, c’est désormais la bataille des idées à l’école que les partis bourgeois entendent mener … en interdisant et censurant certains sujets sur lesquels ils veulent garder le contrôle du récit : « l’activisme écologique, le wokisme, la lutte des classes, des sexes et des moyens de transport », indique-t-elle dans la motion intitulée « Pour lutter contre l’endoctrinement dans l’instruction publique ». Imaginons en effet que ces sujets soient associés, par les enseignant.es, à la ruine économique ou à la décadence de la civilisation : aurait-elle réagi de la même manière ?

Adopté le 22 mars à 54 voix contre 28, ce vote est symptomatique de l’un des volets du projet politique que la majorité bourgeoise réserve pour l’école : la (re)production d’une élite tout comme d’une main d’oeuvre dociles, qui lui assurent le maintien des privilèges qu’elle défend, et du monde tel qu’il leur convient.

Reconnaissons que c’est de bonne guerre : « Servir les riche tout en distrayant l’attention des pauvres avec les guerres culturelles » (J. Sachs) est une stratégie qui fonctionne si bien, cette majorité bourgeoise aurait tort de s’en priver. Mais ici, elle se trompe sur un point : pas plus que nous utilisons notre position pour lutter contre ce projet (dont ne sommes pas dupes), nous ne cherchons à en imposer un autre.

L’engagement qui est le nôtre se base sur une certaine conception du métier qui relève en effet d’un objectif politique: l’émancipation, entendue comme le fait de permettre à nos élèves de « participer à la vie sociale, culturelle, civique, politique et économique du pays » en acquérant « le sens des responsabilités, la faculté de discernement et l’indépendance de jugement », comme le prévoit la Loi sur l’instruction publique.

Dans le cas présent, c’est la participation à une activité pédagogique au long cours, au sein même de l’école, du mouvement « Extinction Rébellion » qui est à l’origine de cette motion de droite.

L’étude des fondements de l’État de droit fait partie, entre autres sujets d’importance, de notre mission pédagogique : dans ce cadre, nous discutons aussi de ses points limites. La radicalité politique en est un, qu’il nous revient de comprendre et d’aider à faire comprendre. Nous évoquons également d’autres points fragiles de cet Etat de droit : les intérêts économiques et la corruption, les idéologies suprémacistes et ségrégationnistes, par exemple.

Il est à relever que la présence et la participation, lors de débats pré-électoraux, d’un parti de droite récemment dénoncé par la Commission fédérale contre le racisme, et dont certains élus ont été condamnés pour injures raciales quand d’autres se déclarent ouvertement xénophobes, n’a pas suscité de courriers de parents-député.es pour réclamer un meilleur contrôle de qui est invité à l’école.

Concernant le climat, la droite doit savoir qu’il est plus facile de contextualiser certaines formes d’engagement comme la désobéissance civile auprès des élèves, qui en connaissent quelques grandes figures historiques, que le refus systématique de cette même droite d’engager les mesures à même de prévenir la catastrophe en cours, scientifiquement établie. Et pourtant, nous tâchons de le faire, avec toute la déontologie professionnelle qui est la nôtre.

Ainsi, et avant de venir établir la liste de ce qui est autorisé et ce qui est interdit en matière de sujets d’enseignement, c’est de cette conception du métier dont la droite devra se débarrasser, en modifiant la Loi sur l’instruction publique, et en motivant son opposition à la formation libre des opinions de nos élèves : le cas échéant, elle viendra ensuite nous dire l’opinion avec laquelle elle souhaite que l’on « endoctrine » notre jeunesse.

Mais d’ici là, elle devra faire face, une fois encore, à des professionnelles attachées à exercer leur métier dans le respect des règles de l’art, et dans les meilleures conditions matérielles possibles.

Le communiqué de presse du SSP et du Collectif des enseignant.es pour le climat et la biodiversité est téléchargeable ci-dessous.


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