Ecole, temps de travail, droit de grève: la lutte plurielle des enseignant.e.s du Cycle d’orientation

de: SSP Genève

Il n’aura fallu que sept mois à Anne Hiltpold, nouvelle magistrate PLR en charge du Département de l’instruction (DIP) pour annoncer la couleur... et en faire voir de toutes les couleurs. Première mesure concrète de son programme pour l’école ? L’augmentation du temps d’enseignement (entendons ici « temps de travail »). Trois jours de grève ont été observés par les enseignant.e.s, malgré les menaces de sanction et les réquisitions illégales.

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La droite à l’assaut de l’école

A Genève, la droite a désormais champ libre pour casser services publics et travailleur.euse.s au moyen de ses outils favoris que sont les coupes budétaires et les cadeaux fiscaux. Un paquet soigneusement ficelé de lois visant à bloquer l’ouverture de nouveaux postes, à affaiblir la protection contre les licenciements, à supprimer les mécanismes de progression salariale, ou encore à raboter la formation des enseignant.e.s du primaire (en vue de baisser les salaires) a été voté au Parlement ou attend d’être dégainé. Parmi les premier.ère.s à en faire les frais : l’école, ses enseignant.e.s et ses élèves que la majorité au pouvoir entend bien faire payer pour dégager des économies qui profiteront à la caste des nanti.e.s de la République.

A l’origine de la mobilisation du Cycle d’orientation (CO), on trouve le Projet de loi 12661 (dit « projet Aellen ») déposé il y a quelques années au Grand Conseil par le groupe PLR et visant à augmenter de six périodes le temps d’enseignement au secondaire I. Avec cela en toile de fond, le Conseil d’Etat et sa magistrate en charge de l’éducation ont, eux, opté pour une « alternative » visant à augmenter de deux périodes le temps d’enseignement dans le but affiché de dégager 13 millions de CHF d’ici à 2027 afin de « mettre en œuvre une réforme du CO » (Plan financier quadriennal 2024-2027). Or cette « réforme » qui n’est pour l’heure qu’une coquille vide, ne comporte aucun objectif ou réflexion pédagogiques. La seule mesure que l’exécutif aura jugée utile de poser clairement étant – on l’aura compris – l’augmentation du temps de travail. Elle aura au moins le mérite d’être claire sur les logiques politiques à l’œuvre.

Cette augmentation s’imposera à des enseignant.e.s déjà poussé.e.s à bout par des classes en sureffectifs, un système de mise à l’écart des élèves en difficulté, des bâtiments pleins à craquer, l’augmentation de la souffrance parmi les jeunes et un manque de moyens de plus en plus criant pour y faire face. « Le nombre d’élèves par classe dépasse régulièrement les maxima prévues dans le règlement du CO. On se retrouve bien souvent à devoir accueillir davantage d’élèves en cours d’année, et ce alors que les places manquent cruellement. Ce ne sont pas moins de deux CO supplémentaires dont Genève aurait besoin pour accueillir ces élèves » déclare Patrick Chappuis, enseignant et délégué SSP. Face aux difficultés sociales et économiques croissantes « nous avons besoin de temps avec les élèves, et non de temps supplémentaire face classe, ce afin d’assurer un accompagnement et un suivi pédagogique de qualité », poursuit le syndicaliste. Dans un Canton particulièrement marqué par les inégalités socio-économiques, les autres services et membres du personnel assurant la prise en charge et l’encadrement des jeunes en difficulté sont également mis à mal par les précédentes coupes budgétaires de la droite. « Dans pareilles circonstances, les enseignant.e.s font souvent office de dernier rempart pour tenter d’atténuer ces inégalités », conclut-il.

Atteintes au droit de grève

Face au mépris des politiques qui défendent les privilèges d’une minorité fortunée, les enseignant.e.s ont initié un mouvement social d’ampleur. Un rassemblement auquel étaient présentes pas moins de 1400 personnes a précédé une grève les 5, 6 et 7 février. Mot d’ordre : « Pas d’économies sur l’éducation ! ». La grève a été largement suivie malgré les tentatives de l’Etat-employeur de briser le mouvement à coup de réquisitions. Sans aucune base légale à l’appui, le DIP a estimé qu’un service minimum devait être assuré pour la tenue des épreuves cantonales (EVACOM). L’Etat-employeur n’a également pas hésité à faire planer des menaces de sanction en cas de refus: « Le défaut de présence en cas d’astreinte au service minimum est considéré comme une violation grave aux devoirs de service », pouvaient lire la semaine dernière les enseignant.e.s réquisitionné.e.s dans des courriers envoyés par le Département. Or, la jurisprudence fédérale en la matière est claire. En cas de grève, le service minimum ne peut être exigé que dans les secteurs suivants : « maintien de l’ordre public, protection des biens et des personnes, lutte contre le feu et soins requis par les malades (ATF 144 I 306) ». Le SSP, la FAMCO et le SIT qui soutiennent le mouvement des enseignant.e.s ont déjà interpellé le gouvernement à deux reprises pour faire cesser l’atteinte au droit de grève et faire constater le caractère illégal de telles mesures. « On est en présence d’un système qui légitime les abus, on bafoue notre droit grève. Du légalisme on glisse vers l’autoritarisme. Les enseignant.e.s sont choqué.e.s par ces pratiques et entendent bien se battre pour que ce droit constitutionnel soit respecté », rapporte Jérôme Tonetti, enseignant et délégué SSP. Dans certains établissements, c’est plus de la moitié du personnel enseignant qui s’est vu réquisitionné, parfois même pour prester des heures en dehors de la tenue des EVACOM. A noter enfin que les EVACOM ne comptent que pour 6% des moyennes annuelles. Contrairement à ce qu’affirme le DIP, rien ne justifie donc ici la limitation du droit de grève puisqu’aucun intérêt essentiel n’est en jeu. Ce volet de l’affaire est donc loin d’être clos, tant sur le plan syndical que sur le plan juridique.

Ouverture de négociations : une avancée mais pas une victoire

Devant la mobilisation, la Conseillère d’Etat s’est résolue à proposer aux syndicats un calendrier de rencontres en vue d’ouvrir des négociations, lesquelles démarreront le lundi 12 février. Si la magistrate s’est engagée à combattre l’augmentation du temps d’enseignement de six périodes voulue par son parti et à demander des crédits supplémentaires pour obtenir les postes d’enseignement manquants (suite aux coupes effectuées par son propre groupe lors du vote du budget 2024), elle n’entend pour le moment pas lâcher sur les deux périodes supplémentaires. Les négociations s’annoncent donc difficiles dans un contexte politique des plus défavorables. Salarié.e.s et syndicats devront donc se tenir prêt.e.s à l’éventualité d’une reprise des mesures de lutte – lutte exemplaire qui combat non seulement le projet politique d’une droite obsédée par l’augmentation du temps de travail, mais qui défend d’abord une école de qualité, démocratique et égalitaire. Car il est avant tout question de l’avenir qui sera réservé aux jeunes adolescent.e.s, lesquel.le.s n’ont pour l’heure d’autre choix que de suivre leur scolarité en étant regroupé.e.s par niveaux. Un véritable système de classe, de sélection et de reproduction sociale qu’avait déjà réussi à imposer la bourgeoisie gouvernante il y a treize ans de cela.