Scène de grève au Grand Théâtre?

de: Interview Guy Zurkinden, rédacteur Services Publics

Ville de Genève – Les employé-e-s du Grand Théâtre ont déposé un préavis de grève au 21 octobre. Ils et elles exigent le maintien du forfait mensuel compensant la pénibilité de leur travail, supprimé par le conseil administratif. Questions à Juan Calvino, sous-chef machiniste et président de la commission des personnels.

Eric Roset

Le 28 septembre, une centaine d’employé-e-s du Grand Théâtre ont manifesté devant le siège de l’institution. Quelles sont les causes de ce conflit social?

Juan Calvino – Sur les près de 300 employé-e-s du Grand Théâtre, nous sommes environ 175, technicien-ne-s de scène et personnes travaillant dans les divers ateliers (menuiserie, serrurerie, couture, peinture, etc.) à être salarié-e-s par la Ville de Genève.

La grande majorité d’entre nous touchons un forfait mensuel de 708 francs, ou de 410 francs (pour le demi-forfait). Ce montant compense la pénibilité de notre travail. Depuis 2019, des cotisations AVS et LPP sont aussi prélevées sur ce forfait.

Le conseil administratif de la Ville de Genève a décidé abruptement de supprimer ces forfaits dès le 1er janvier 2023. Il a pris cette décision à la suite d’un audit sur la gouvernance financière du Grand Théâtre réalisé par la cour des Comptes en 2020, sans même en discuter avec nous. C’est cette décision que nous contestons.

Quelle est la raison d’être de ces forfaits?

Ils sont liés aux facteurs de pénibilité de notre travail, qui sont multiples.

Il y a d’abord les horaires de travail. Nous avons un règlement d’application du temps de travail dérogatoire par rapport à celui de la ville. En effet au niveau des horaires, il n’y a pas vraiment de règle dans notre métier. Nous travaillons régulièrement six jours sur sept, 50 heures par semaine, les soirs, la nuit, le dimanche, les jours fériés. Lorsque nous travaillons à l’extérieur, nous faisons jusqu’à 12 heures par jour, dix jours de suite. À côté de ces semaines à rallonge, nous avons aussi souvent des changements d’horaire en dernière minute. S’il y a un problème, nous devons rester au travail, quelle que soit l’heure.

Quels sont les autres facteurs de pénibilité?

Nous travaillons souvent dans le bruit – parfois juste à côté des orchestres qui répètent. Les éclairagistes œuvre quant à eux-elles dans le noir, ou au milieu des stroboscopes et des lasers, etc.

Certains décors sont faits au théâtre même. D’autres sont adaptés, d’autres encore loués ou achetés. Quand un spectacle arrive, via des containers ou des camions, nous nous retrouvons avec 5 à 25 tonnes de matériel à décharger – qu’il pleuve, neige, grêle ou qu’il y ait du soleil. Nous portons des charges extrêmement lourdes, ce qui représente aussi un danger. Ensuite, il faut monter le tout pour pouvoir entamer le travail technique proprement dit, avant et au cours des répétitions.

Lors des spectacles, le stress peut être intense, car il faut aller très vite pour faire les changements de décor nécessaires entre les actes.

Pour les technicien-ne-s du théâtre, le télétravail est impossible. Durant la pandémie, nous avons continué à être en contact avec des personnes venant de partout, avec la pression d’attraper le Covid.

Bref, notre travail est très contraignant. Et le forfait mensuel a justement pour vocation de compenser les nombreuses facettes de cette pénibilité.

Le conseil administratif propose-t-il une solution de rechange?

L’exécutif de la Ville veut remplacer le forfait actuel par les indemnités normales en vigueur à la Ville – pour le travail le samedi, le dimanche ou les heures supplémentaires. Mais ces indemnités ne correspondent pas à la réalité de notre travail et de sa pénibilité! Le stress, le danger, les charges, les déplacements à l’étranger, tout cela n’est pas pris en compte dans ce système.

Le nouveau système serait très compliqué à calculer, car les indemnités seront différentes selon les tranches horaires, si le travail a lieu le samedi ou le dimanche, si on a affaire à des heures supplémentaires ou pas, etc. Il introduirait aussi des inégalités salariales entre les technicien-ne-s, par exemple entre ceux et celles qui travailleront sur un spectacle tournant le dimanche, et les autres.

Il y a donc beaucoup d’inconnues. J’ai cependant fait une projection des conséquences concrètes du changement de système. Sur une année, cela représenterait 2500 francs de salaire en moins. Ce changement aurait aussi un impact sur les rentes que nous toucherons à la retraite. Pour les plus jeunes, cela entraînerait des baisses importantes.

Il n’est pas question d’accepter de tels reculs.

Quelles sont vos revendications?

Nous demandons le maintien de ces forfaits pour éviter une baisse de salaire. Pour cela, il faut que l’exécutif accepte de dialoguer avec le personnel. Nous les avons invité-e-s déjà à trois reprises. Mais jusqu’à présent, ils et elles ont toujours refusé.

Face au silence de la Ville, vous prévoyez de nouvelles actions?

Après la manifestation du 28 septembre, nous avons déposé un préavis de grève pour le 21 octobre, jour de la première de «Katia Kabanova», l’opéra de Leoš Janáček. La direction du Grand Théâtre et l’exécutif de la Ville sont inquiets, car ils savent que si nous nous arrêtons, il n’y aura pas de spectacle.

Notre but n’est pas de punir les spectateurs-trices. Mais nous nous sommes rendu compte que la grève est le seul moyen de nous faire entendre. Nous espérons que le conseil administratif ouvrira des négociations avant cette échéance!