Pas de santé sexuelle à la chaîne!

de: Interview Guy Zurkinden, rédacteur «Services Publics»

Le 22 mars à Genève, les formateurs·rices consultant·e·s en promotion et éducation à la santé (FCPES) ont interrompu leurs cours. Ils·elles dénoncent une réforme qui menace la qualité de l’éducation sexuelle dans les écoles.

Eric Roset

Questions à Françoise*, FCPES et gréviste.

En quoi consiste votre métier de formatrice consultante en promotion et éducation à la santé?

Françoise – Nous avons trois tâches distinctes. D’abord, l’enseignement: nous donnons des cours d’éducation sexuelle et à la santé dans les différentes écoles (primaire, secondaire I et II) du canton. Cela représente 60% de notre temps de travail.

Le reste du temps est dédié à des tâches d'expertise et de gestion de projets. Nous répondons à des demandes d’interventions au sein des écoles sur des problématiques liées à la sexualité – de la contraception aux questions de violence et de harcèlement en passant par l’utilisation des réseaux sociaux, la pornographie, les infections sexuellement transmissibles, etc.

Nous recevons également des demandes de formation venant d’adultes (professionnel·le·s du parascolaire, des maisons de quartiers, enseignant·e·s, parents d’élèves, etc.) ou d’institutions spécialisées. Nous mettons aussi sur pied des projets – par exemple, nous avons conclu il y a deux ans un projet cantonal pour prévenir le harcèlement scolaire.

Enfin, nous amenons notre expertise à différents groupes Santé travaillant sur le climat scolaire.

Combien êtes-vous à exercer ce métier?

Nous sommes 24 formateurs et formatrices pour le canton, ce qui équivaut à environ 17 équivalents plein temps. Ce nombre de postes est insuffisant: il ne permet pas de couvrir la totalité de nos prestations dans le canton et, lors de maladies, nous ne sommes pas remplacé·e·s.

De plus, nous faisons face à une croissance constante du nombre d'élèves (4000 de plus entre 2016 et 2020!), alors que le nombre de nos postes n’a pas augmenté.

La sexualité peut être un sujet délicat …

Faire de l'éducation sexuelle et effective est un métier complexe. La thématique de l'intimité génère chez les élèves des émotions importantes – souvent de la gêne, de l'excitation. Leur perception varie selon l’âge, le vécu, les représentations, les cultures et les histoires de chacun·e. Nous devons donc élaborer un enseignement capable de s’adapter à des réalités très diverses. Nous partons de leurs questions, de leurs inquiétudes, de leurs besoins. Nous devons les aider à déconstruire de fausses représentations de la sexualité et leur donner des repères. Cela demande une attention de tous les instants. Il faut aussi coller au plus près des évolutions sociales, comme les réseaux sociaux ou le mouvement Me Too. Tout cela exige un temps certain de préparation et de nombreux échanges entre collègues.

En quoi consiste la réforme du département de l’instruction publique (DIP)?

Le 24 novembre, les ressources humaines nous ont annoncé que le DIP avait décidé de supprimer notre métier. Cette décision a été prise de manière unilatérale.

Notre métier serait scindé en deux: d’un côté des maîtres-se-s spécialistes, de l’autre des chargé-e-s de formation et de projets.

La grande majorité des actuels formateurs et formatrices deviendraient des enseignant·e·s en santé sexuelle à plein temps, assurant 28 périodes hebdomadaires (pour un 100%) – nous en faisons 18 aujourd’hui. Les autres (2,8 équivalents plein temps) élaboreraient des programmes, désormais sans contact direct avec le terrain, et seraient chargé·e·s de projets.

Pour justifier sa décision, le DIP affirme qu’il veut augmenter le nombre de cours en éducation sexuelle.

Pourquoi refusez-vous cette réforme?

Nous sommes favorables à une augmentation des heures d’éducation sexuelle, mais pas selon les modalités imposées par le DIP! Pour plusieurs raisons.

Le démantèlement de notre métier impliquerait d’abord son appauvrissement. La complémentarité entre les aspects enseignement, expertise et projets n'existerait plus. Ces activités ne pourraient plus s'enrichir mutuellement.

La réforme se traduirait ensuite par une perte de qualité pour les élèves. Le DIP veut en effet doubler le nombre d’heures d’éducation sexuelle, mais sans engager de personnel supplémentaire. Un-e enseignant·e à plein-temps devrait intervenir sur une trentaine d’écoles. Ce serait de l'éducation sexuelle à la chaîne!

Il faut rappeler que nous ne voyons nos élèves qu’une fois tous les deux ans – une fois par année à l’avenir, selon les vœux du DIP. À chaque fois, nous devons recréer le lien avec la classe, ce qui demande beaucoup d’énergie. Avec la réforme du DIP, il ne serait plus possible d’assurer la même qualité.

Enfin, on nous a annoncé que la division de notre métier se traduirait par des baisses de salaires, malgré une charge de travail plus élevée!

Que répond le DIP?

Jusqu’à présent, la cheffe du DIP, Anne Emery-Torracinta, refuse de nous rencontrer et de négocier.

Le DIP prévoit de nous licencier et nous propose de postuler à un nouvel emploi dont nous ne connaissons pas le cahier des charges exact, ni la classe salariale correspondante. Cette méthode autoritaire et brutale est révoltante.

Quelle suite donnerez-vous à votre action?

Le temps presse, car les entretiens individuels avec les ressources humaines ont déjà commencé.

Lors de notre journée de grève, nous avons exigé que tous ces entretiens soient suspendus, et que des négociations soient enfin ouvertes.

Au cas où Mme Torracinta persisterait dans son refus, nous avons voté le principe d’une nouvelle grève, le 31 mars.

Le personnel est inquiet et en colère. Mais nous faisons front commun!


Une grève suivie par l’ensemble du personnel!

Le 22 mars dans l’après-midi, la totalité des formateurs·rices consultant·e·s en promotion et éducation à la santé (FCPES) ont fait grève, interrompant les cours d’éducation sexuelle dans les écoles. Les FCPES sont rattaché·e·s au Service de santé de l’enfance et de la jeunesse (SSEJ), lui-même chapeauté par le Département de l’instruction publique (DIP).

Après la décision unilatérale du DIP de diviser leur métier entre maître·sse spécialiste et concepteur·rice de cours et projets, les FCPES, soutenu·e·s par les syndicats SIT et SSP, ont exigé l’ouverture de discussions avec le DIP. «La vision du DIP, soit "faire plus avec moins" en matière d’éducation à la santé ne colle pas aux réalités et aux besoins des milieux scolaires et des jeunes», dénoncent-ils·elles.

Lors de leur après-midi de grève, les formateurs et formatrices ont exigé la suspension des entretiens individuels en cours et l’ouverture des négociations. Ils·elles ont aussi dénoncé la méthode cavalière du DIP: soutenu par le Conseil d’Etat, ce dernier n’hésite pas à supprimer les postes de FCPES pour imposer sa réforme au forceps.

Le DIP et sa conseillère d’Etat socialiste «opèrent ainsi une rupture avec le partenariat social traditionnel et portent préjudice au service public. Cette pratique est choquante et totalement en opposition avec les discours du Conseil d’Etat qui a annoncé au personnel vouloir gouverner à la confiance, avec agilité», dénoncent salarié-e-s et syndicats.

Le 31 mars, le personnel a décidé de reconduire sa grève. La lutte continue!


Interview parue dans Services Publics n°5, 1er avril 2022