«Au secours! L’argent coule à flots» [1].
Le canton de Genève a bouclé ses comptes 2021 sur un excédent de 49 millions de francs, alors qu’il avait prévu un déficit de 847 millions – tout cela dans une année marquée par une pandémie qui a entraîné 693 millions de dépenses supplémentaires.
Le Conseil d’Etat explique ce grand écart par des revenus fiscaux extraordinaires – 999 millions de plus que budgété [2]. Cette manne provient d’une forte hausse des recettes de l’impôt sur les entreprises (+46%) et sur l’immobilier (+55%). S’y ajoute une ristourne plus élevée que prévu en provenance de la Banque nationale suisse.
En haut, ça boume
«La croissance des secteurs phares de l’économie, le commerce international, la finance et l’horlogerie, ainsi qu’un nombre de transactions immobilières aux montants records expliquent ce résultat hors norme», souligne l’exécutif. «Portés par une année faste, les profits taxés des banques, horlogers et négociants en matières premières ont bondi de 24,8%. Ceux de la Banque Pictet ont ainsi atteint pour la première fois 1 milliard de francs, tandis que le spécialiste du courtage pétrolier Trafigura a réalisé la meilleure année de son histoire, à 3,1 milliards de dollars au niveau du groupe», illustre le quotidien Le Temps [3]. Même topo dans l’immobilier, où l’année 2021 a été «celle de tous les superlatifs, produisant 808 millions de francs de recettes (…) Le canton a enregistré 143 ventes supérieures à 10 millions de francs. À titre d’exemple, Metin Arditi a vendu des biens pour 690 millions de francs, la caisse de pension de Bâle procédé à des transactions pour 601 millions, tout comme la Banque Pictet, qui a cédé son siège pour le même montant». En bref: le Covid-19 n’a pas affecté les affaires des grands groupes et propriétaires – au contraire. Une situation qui tranche avec les dures conséquences de la pandémie supportées par des milliers de salarié-e-s et de petit-e-s indépendant-e-s: les rentrées des personnes physiques ont baissé de 5,7% en 2021, signe qu’une partie de la population s’est appauvrie.
En bas, on serre la vis
L’excellente santé financière de l’Etat tranche aussi avec la politique d’austérité appliquée sans relâche par l’exécutif. Elle paraîtra particulièrement amère aux formateurs et formatrices en santé sexuelle qui voient leur fonction attaquée par le DIP, au personnel des HUG dont la prime de gériatrie vient d’être supprimée, au personnel et aux pensionnaires du foyer de l’Étoile, ainsi qu’à l’ensemble des secteurs tournant en sous-effectif. Les postes supplémentaires décidés par la commission des finances pour 2022 – depuis janvier, le canton n’a pas de budget et tourne sous le régime des douzièmes provisoires – restent en effet «très insuffisants au regard des besoins», souligne le SSP. Le syndicat dénonce aussi le refus du Conseil d’Etat d’indexer les salaires de la fonction publique – malgré l’inflation en hausse – ainsi que d’appliquer l’annuité 2023. «C’est l’assurance d’une baisse du pouvoir d’achat pour tout le personnel du secteur public», dénonce le SSP.
Fontanet garde le cap
«Ce n’est pas le moment de crier à l’open bar», rétorque la ministre libérale-radicale Nathalie Fontanet, en charge des Finances. Quelques jours plus tôt, Mme Fontanet indiquait que ses services planchent sur diverses mesures, notamment une baisse de l’impôt sur la fortune. Objectif: « compenser », pour les plus grandes entreprises du canton, la hausse légère de l’imposition des bénéfices qu’entraînera l’introduction du taux minimal de 15% fixé par l’OCDE [4]. Une affirmation en symbiose avec la position d’Olivier Sandoz, directeur général adjoint de la Fédération des entreprises romandes à Genève, selon lequel «il faut à tout prix éviter que les personnes physiques et morales, qui supportent l’essentiel du fardeau fiscal, soient contraintes d’aller s’installer sous des cieux plus cléments» [5].
Genève entend donc bien continuer à chouchouter ses entreprises, tout en renforçant sa politique l’austérité. À moins que la mobilisation du personnel ne l’oblige à changer de posture.
Préparer la mobilisation sans attendre!
Mardi 12 avril, les syndicats membres du Cartel de la fonction publique appelaient à une assemblée générale du personnel de l’Etat. Objectif: préparer sans attendre la mobilisation autour du budget 2023, et informer leurs membres de l’avancée du projet de réforme du système d’évaluation et de rémunération (G’Évolue).
Pour le Cartel, la santé éclatante des comptes de l’Etat impose un changement de cap. Dans un communiqué de presse, la faîtière demande notamment au gouvernement «qu’il révise son plan financier quadriennal en y intégrant l’annuité 2023 et en indexant les salaires face au renchérissement du coût de la vie, et ce avec effet rétroactif pour la totalité de l'année 2021». Après avoir «largement contribué à l’effort de solidarité pour faire face à la crise sanitaire, notamment par la suppression de l’annuité en 2021», les salarié-e-s du service public doivent aujourd’hui voir leurs conditions s’améliorer, soulignent les syndicats.
Ces revendications ne pourront être obtenues que par la lutte, complète le SSP – Région Genève. «La mobilisation doit se préparer dès maintenant. Si l’on veut initier une réelle dynamique et construire un rapport de force qui nous soit favorable, il ne faut pas attendre la rentrée scolaire en septembre», souligne le syndicat. Dans cet objectif, l’assemblée du 12 avril devait «constituer un moment d’échange sur les modalités d’organiser la lutte et les moyens pour parvenir à obtenir les postes, une indexation des salaires et l'annuité pour 2023».
À l’unanimité, l’assemblée du 12 avril a décidé d’organiser un premier rassemblement afin de défendre les revendications du personnel, le jeudi 19 mai à 17 h aux Canons.
[1] Tribune de Genève, 1er avril 2022.
[2] Communiqué de presse du 31 mars 2022.
[3] Le Temps, 1er avril 2022.
[4] Le Temps, 25 mars 2022.
[5] L’Agefi, 8 avril 2022.