CCT dénoncée, personnel du social en souffrance

de: Camille Cantone, secrétaire syndicale SSP région Genève

Une importante bataille syndicale est en cours afin d’éviter que les salarié-e-s des institutions sociales regroupées dans l’AGOEER subissent une perte drastique de leurs droits. Les bénéficiaires en feraient aussi les frais.

Photo Eric Roset

Les employé-e-s de l’AGOEER bénéficient d’une convention collective de travail (CCT) depuis les années 1970. Aujourd’hui, cette CCT est mise à mal et la possibilité d’un vide conventionnel est réelle. L’AGOEER est une association faîtière regroupant 12 employeurs du secteur du social genevois. Ces institutions emploient 3000 professionnel-le-s, s’occupant de plus de 5700 bénéficiaires dans les secteurs du handicap et de l’éducation spécialisée.

Licenciements facilités

En été 2021, les employeurs ont demandé une renégociation de la CCT. Depuis septembre de la même année, deux syndicalistes du SSP et du SIT, ainsi que 4 employé-e-s et membres des deux syndicats, négocient en tant que délégation «employé-e-s». Cette délégation agit sur mandat d’une assemblée générale. Sous couvert de modification cosmétique afin de clarifier les articles, les employeurs cherchent à affaiblir la convention collective, notamment en détériorant la protection contre le licenciement. Les employeurs souhaitent ainsi une réduction du délai de congé, durant le temps d’essai, ainsi que pour les contrats à durée indéterminée. De plus, la CCT prévoit actuellement un entretien d’ajustement comme préalable au licenciement. Les employeurs souhaitent qu’il ne soit plus nécessaire. Les syndicats ont régulièrement soulevé auprès de diverses institutions le non-respect de cet article de la CCT. Et la réponse des employeurs est… de le supprimer! Pour les employé-e-s, le bon fonctionnement des équipes et ainsi que celui des institutions, il est primordial que tout-e travailleur-euse dont les prestations sont jugées insatisfaisantes ou ne répondant plus aux exigences de la fonction ait une chance de s’améliorer.

Siège éjectable

«Depuis quelques années, nous assistons aussi à des vagues de licenciements de personnes qui n'entrent comme on dit "plus dans les clous", notamment des personnes proches de la retraite. Elles sont souvent là depuis de nombreuses années et ne se retrouvent plus dans ce système privilégiant d'abord une sorte de rendement administratif qui ne peut être fait qu'au détriment du temps passé avec nos usagers-ères», déplore Julien, employé dans une institution AGOEER et membre du SSP. Il explique sa crainte, si le licenciement est facilité, que de nombreux-euses collègues n’osent plus s’organiser et critiquer des décisions de la direction allant à l’encontre d’une prise en charge adéquate, par peur de finir sur un siège éjectable.

Parmi les autres volontés des employeurs, nous avons celle de retirer de la CCT le personnel le plus vulnérable: les apprenti-e-s et les stagiaires. Alors qu’ils et elles sont encore en formation, ces collègues sont pressé-e-s comme des citrons par des institutions qui les utilisent comme force de travail par manque de personnel. «Bien que légalement ces jeunes travailleurs et travailleuses ne soient pas censé-e-s être compté-e-s dans les effectifs, dans les faits, nous savons très bien qu’ils-elles sont une vraie ressource pour les équipes», explique Patrice de la Fondation Ensemble, membre du SIT et délégué aux négociations. Traiter ainsi des jeunes travailleurs-euses qui compensent régulièrement l’absentéisme et se démènent dans leur travail est un scandale. C’est exactement ce qui les dégoutera de leur futur métier, d’autant plus s’ils et elles perdent une semaine de vacances, 2 jours fériés par an, 4 semaines de congé maternité, les congés syndicaux ou encore les indemnités pour arrêt maladie, dispositions contenues dans la CCT.

Perte de droits

Après une année de négociations, les employeurs, ne pouvant imaginer maintenir les protections contre les licenciements, ont dénoncé le 28 juin 2022 la convention collective dans son ensemble pour le 1er janvier 2023. Cela veut dire que sans accord trouvé avant la fin de l’année, les 3000 employé-e-s pourraient se retrouver avec une perte drastique de leurs droits. Rappelons également que le personnel du secteur social, comme cela est précisé dans la Loi sur le travail nationale, est soumis à de nombreuses exceptions aux protections légales. Une loi qui s’applique pourtant dans le privé. Travailler de nuit et du weekend sans possibilité de récupérer par bloc d’une semaine les heures dépassant l’horaire, ou travailler plus de 50 heures de travail par semaine, sont le quotidien en Suisse du personnel dans le secteur du social qui n’est pas soumis à une CCT.

Délétère pour les bénéficiaires

«Un fossé s’est creusé entre le personnel au contact des bénéficiaires et les instances dirigeantes, qui pilotent à distance, créent des procédures sans consultation des professionnel-le-s du terrain et aspirent au silence des équipes. L’enjeu d’un partenariat entre les professionnel-le-s du terrain et la direction semble oublié et les équipes sont régulièrement remixées par des décisions prises verticalement. C’est une pratique qui favorise le chacun pour soi, confortable pour les directions et délétère pour les bénéficiaires», dénonce Agnès, employée à Clair Bois. Ce fossé est à l’image des requêtes des employeurs quant à la renégociation de la CCT: une flexibilisation des conditions de travail des employé-e-s jusqu’à les empêcher de remplir leurs tâches correctement ou jusqu’à insuffler la peur. Ces diverses fondations qui se targuent d’être des «entreprises sociales» vont jusqu’à faire perdre le sens du travail à certain-e-s de leurs employé-e-s. Ces derniers-ères disent avoir l’impression de faire du gardiennage, d’assurer, au mieux, le service minimum auprès des bénéficiaires.

Privatisation progressive

Depuis une trentaine d’années, nous voyons le social progressivement privatisé, assujetti aux dons de fondations privées, avec à la tête d’institutions, des responsables venu-e-s du privé, sans connaissance du terrain, ni des personnes accompagnées, gérant ces institutions comme des entreprises. Nous sommes face à des employeurs qui ont en tête un budget et qui veulent l’optimiser. Le secteur social a pourtant comme mission, en tant que service public, de soutenir et d’accompagner une partie de la population, souvent vulnérable. Il s’agit en effet de mineur-e-s en foyer, de personnes en situation de handicap, d’élèves en écoles spécialisées… Ces prestations sociales ont un coût, mais elles sont essentielles et ne peuvent être réduites sans conséquence. Nous avions pu le constater en ce début d’année avec les scandales de maltraitances au foyer de Mancy qui a explosé dans la presse. Il serait bon de se rappeler que les journaux évoquaient également des cas de maltraitance qui auraient eu lieu à Clair Bois et l’AGAPE, deux institutions qui sont signataires de la CCT AGOEER!

Le personnel est déjà sous tension. Face à la surcharge de travail, le climat de violence présent, l’absentéisme élevé, il n’en peut plus et il a peur. Ce personnel aurait besoin de meilleures protections, de baisse du temps de travail, de davantage de moyens, d’écoute active de sa direction et non pas de nouveaux postes de cadres déconnectés, aux dépens des postes de terrain économisés dans un budget annuel. Que ce soit en raison du vieillissement de la population, de l’augmentation de la démographie ou du COVID-19, les besoins augmentent. Malgré ce constat pourtant clair, le rapport entre le nombre de professionnel-le-s et le nombre de bénéficiaires ne fait que diminuer. À Clair Bois, on constate par exemple une baisse du taux d’encadrement de 7,5% entre 2016 et 2021.

Assemblées dans les institutions

Après avoir fait des vidéos Youtube avec des témoignages d’employé-e-s, nous avons organisé une dizaine d’assemblées générales du personnel dans chacune des institutions de l’AGOEER ces derniers mois pour présenter l’avancée des négociations. Les syndicats ont ensuite convoqué une conférence de presse fin octobre et organisé une grande assemblée de tout le personnel le 8 novembre dernier. Cette assemblée a donné mandat aux syndicats de maintenir les revendications, de rédiger un courrier explicatif à l’ensemble des employeurs, ainsi que de saisir la Chambre des relations collectives de travail (CRCT) concernant un blocage juridique opposant nos deux délégations. Après la dernière date de négociation début décembre, le personnel est à nouveau invité à se réunir en assemblée générale pour valider, ou non, la signature de la nouvelle CCT négociée. Cette assemblée aura lieu le mardi 13 décembre prochain à 19h.

Agissant sur plusieurs plans, les syndicats ont aussi rencontré les deux départements en charge des questions sociales et éducatives pour leur faire part de leurs inquiétudes quant au vide conventionnel et aux attaques faites aux salarié-e-s. Une pétition à l’attention des conseillers-ères d’Etat concerné-e-s tourne encore auprès du personnel et une démarche parlementaire est en cours. En effet, l’Etat délègue des prestations de services publics à des privés en les subventionnant; s’assurer de bonnes conditions de travail pour les employé-e-s permettra également de garantir ces prestations. Afin d’éviter ce genre de situation à l’avenir, nous souhaiterions que l’obtention de subventions par ces fondations soit soumise à l’obligation d’avoir une CCT.