Le sprint permanent des enseignant·e·s

Une enquête du SSP montre que le contexte de la pandémie exerce une forte pression sur les écoles. L’épuisement du personnel enseignant augmente et le nombre d’élèves qui décrochent est alarmant. La situation scolaire est un « cas de rigueur » qui nécessite des mesures de soutien.

«Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite», explique la Reine rouge dans le classique de Lewis Carroll «De l’autre côté du miroir» à une Alice stupéfaite et épuisée par la course, qui se trouve confrontée à des règles en constante évolution dans le monde absurde du Pays des Merveilles.

Courir deux fois plus vite et être le plus flexible possible: telles sont les exigences auxquelles sont aujourd'hui soumis·es les enseignant·e·s, face à des règles et des défis pouvant changer chaque semaine voire chaque jour.

Charge de travail nettement plus importante

Des profs ne se reconnaissent pas dans le «sombre tableau» et le «discours anxiogène» des syndicats d’enseignant·e·s, affirmait Heidi.news (29 janvier 2021), en s’appuyant sur le témoignage de quatre enseignant-e-s. C’est sur les réponses de près de 1200 enseignant-e-s que se base le présent article, réponses apportées à un sondage réalisé par le SSP en décembre 2020 et janvier 2021 en Suisse alémanique et en Suisse romande.

Les réponses peuvent de prime abord paraître paradoxales. D’un côté, tout semble se dérouler de manière habituelle. Ainsi, 80% des participant·e·s affirment «J'ai pu dans une large mesure enseigner normalement depuis le début de l'année scolaire» et 81% disent pouvoir suivre pour l’essentiel le plan d’études comme d’habitude. De l’autre côté, 55% affirment avoir eu, en moyenne, une charge de travail nettement plus importante que d'habitude et 87% estiment que leur charge psychologique a augmenté au cours de l’année scolaire. Un paradoxe qui n’est autre que celui que vit Alice, obligée de courir pour rester sur place. On ne s’étonnera donc pas que pour 64% des répondant·e·s, la satisfaction au travail ait diminué.

L’affirmation «les problèmes pédagogiques liés à la situation me rendent anxieux·se (plan d’études à suivre, tests à faire passer, élèves absent·e·s, etc.)» est jugée correcte ou plutôt correcte par 67% des participant·e·s. L’anxiété semble avoir d’autres causes que le discours des syndicats…

Plus étonnant peut-être, 33% des personnes qui ont répondu estiment que la charge physique a augmenté dans le cadre de leur travail. Nous ne pouvons que faire des hypothèses sur ce résultat. Le port du masque — jugé nécessaire et néanmoins fatigant par une grande partie des enseignant·e·s — est sans doute une explication.Mais les commentaires libres permettent également de conclure que ces derniers mois ont causé une très grande fatigue physique au sein du corps enseignant. Résultat des courses (c’est le cas de le dire) : un tiers des personnes ayant participé estime que durant l’année 2020 leur santé s’est dégradée.

Des élèves en perdition

Ce sont aussi les élèves qui font les frais de la situation. Ainsi, 64% des participant-e-s jugent que certain·e·s de leurs élèves ont encore besoin de rattrapage depuis le confinement du printemps dernier et 57% se reconnaissent dans l’affirmation «Certain·e·s de mes élèves ont perdu pied». Face à ce tableau très inquiétant, les moyens manquent. Les collègues ne sont que 46% à pouvoir dire que des mesures supplémentaires ont pu être mises en place dans leur école pour offrir un rattrapage aux élèves et 25% seulement rapportent que leur classe ou leurs élèves ont bénéficié de mesures de soutien.

Enfin, les répondant-e-s estiment que les directions d’établissement ont plutôt bien joué leur rôle, alors que leur jugement est bien plus sévère à l’égard des autorités cantonales. Si 56% estiment avoir reçu des informations suffisantes et pertinentes de la part de la direction, le taux tombe à 36% s’agissant des informations reçues des autorités. De même, 54% se sentent suffisamment soutenu·e·s par leur direction, mais seulement 17% par les autorités cantonales.

Des mesures fortes s’imposent

Les données obtenues grâce à cette enquête confirment les orientations défendues jusqu’ici par le SSP («L’école face à l’aggravation de la situation sanitaire », « Fermer les écoles obligatoires? Seulement en dernier recours » et permettront d’orienter et d’étayer nos prochaines démarches et revendications. En guise de premiers constats, il nous paraît nécessaire d’agir dans les domaines suivants.

  • D’importants retards scolaires remontant au semi-confinement du printemps 2020 restent encore à combler. C’est un constat qui doit susciter la plus grande attention, notamment en cas de nouveau passage au télé-enseignement. Toute fermeture (ponctuelle ou généralisée) d’une école doit être accompagnée de mesures fortes. Au même titre que des aides pour « cas de rigueur » sont allouées dans différents secteurs, des moyens doivent être accordés aux écoles pour aider les élèves à ne pas décrocher ou à reprendre pied.
  • La question d’un allègement des objectifs à atteindre et d’une diminution du nombre minimum de tests et d’évaluations avec notes ne peut plus être laissée sous le tapis. Les autorités, après concertation avec les enseignant-e-s et leurs syndicats, doivent donner des directives claires à ce propos. En décidant le 3 février que dans le secondaire II les examens devront «dans toute la mesure du possible» se dérouler selon les règles habituelles, la Conférence des directeurs-trices de l’instruction publique (CDIP) ne tient manifestement pas compte de la réalité de la situation.
  • Une plus grande attention doit être accordée à l’état psychologique des enfants et des jeunes et aux conséquences à long terme de la crise actuelle. Psychiatres et psychologues ont déjà tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises face à la hausse des dépressions, notamment dans ces catégories d’âge. Les écoles ont un rôle à jouer pour faire face à cette situation, mais pour ce faire, elles ont besoin de ressources supplémentaires, afin que tous les enfants en détresse psychologique puissent non seulement être identifiés mais aussi recevoir des offres d'aide.
  • Un plan contre la surcharge et l’épuisement professionnel des enseignant-e-s doit être mis en place dans les cantons et dans les établissements. Cette revendication du SSP n’est pas nouvelle, mais elle est encore plus actuelle dans le cadre de la pandémie. Il est nécessaire que les autorités non seulement reconnaissent clairement l’effort considérable accompli par les enseignant-e-s, mais aussi qu’elles prennent des mesures concrètes pour alléger leur charge.
  • Enfin, notre questionnaire ne comportait pas de questions sur la vaccination, car il avait été lancé avant que les vaccins soient disponibles. Mais dans les champs de réponses « libres », beaucoup de collègues ont ajouté que les enseignant·e·s devraient avoir un accès prioritaire au vaccin (comme l’a déjà demandé le SSP début janvier).

Et si de nouvelles restrictions deviennent nécessaires?

Nous avons souhaité connaître l’avis des enseignant-e-s sur les mesures en cours de discussion ou déjà mises en œuvre pour contenir la pandémie. Les réponses aux propositions soumises dans le questionnaire dessinent une sorte d’échelle des priorités. L’annulation des excursions, des camps et des événements extrascolaires recueille 70% d’avis favorables, devant l’équipement des salles de classe avec des appareils de purification de l'air (60%). Viennent ensuite l’enseignement en demi-classes et la prolongation temporaire des vacances, à égalité avec 54% d’approbation. L’extension du port obligatoire du masque à des élèves plus jeunes n’est soutenue qu’à hauteur de 46% (précisons que les réponses ont été apportées avant que la Société suisse de pédiatrie ne recommande une telle mesure). Enfin, le passage généralisé au télé-enseignement, avec un accueil d’urgence, ne recueille que 30% de réponses positives.