"Le personnel a peur"

de: Interview Services Publics

Un climat d’hypersurveillance et de crainte règne depuis deux ans au sein de l’EMS de la Rive, situé à Onex. Le témoignage de Pauline, soignante au sein de l’institution.

Photo (Prétexte) Eric Roset

Que se passe-t-il à l’EMS de la Rive ?
Pauline
– En 2019, la hiérarchie a totalement changé son attitude à notre égard et mis sur pied une politique d’hypersurveillance.
Depuis, tous nos faits et gestes sont scrutés. Des responsables se cachent derrière les portes, entrent dans les chambres pour écouter ce que disent les auxiliaires de vie aux résident-e-s; ils ouvrent des poubelles pour voir si les restes de repas ont bien été jetés, etc.
La durée de nos pauses est contrôlée à la minute près. Même les locaux de repos font l’objet d’une surveillance soutenue.
La hiérarchie nous dit que « leur porte est ouverte », elle nous invite à prendre la parole lors des colloques. Mais si nous disons quelque chose qui ne lui convient pas, un-e responsable vient ensuite nous voir et nous réprimande.
Un climat de défiance et de répression a été installé. Nous devons faire attention à chaque mot qui sort de notre bouche. C’est très dur à vivre.

Au cours des derniers mois, la direction a annoncé plusieurs licenciements. Comment cela s’est-il passé ?
Au mois de novembre, la direction de l’EMS a d’abord licencié l’infirmière cheffe de l’établissement. Après huit ans de service, cette professionnelle compétente a été virée du jour au lendemain.
Ce sont ensuite quatre personnes qui ont été licenciées le même jour, le 26 janvier dernier. Cela a été très brutal. Les quatre salarié-e-s ont été convoqué-e-s à la chaîne. La direction leur a notifié leur licenciement, sans aucun avertissement antérieur. Après l’entretien, ils et elles ont été raccompagné-e-s au vestiaire, puis à leur voiture. Sans avoir le droit de dire au revoir à leurs collègues, ni aux résident-e-s.
Je n’oublierai jamais cette journée. Nous avons vu nos collègues partir pour ne pas revenir. Puis, des intérimaires sont arrivé-e-s pour les remplacer.
À la mi-avril, un autre collègue a été licencié lors de son retour d’un arrêt maladie.
Ce n’est pas tout. Depuis des années, l’EMS faisait appel, en cas de besoin, à cinq-six intérimaires, toujours les mêmes. Après la vague de licenciements, la direction leur a demandé de plus revenir, sans expliquer pourquoi.
Tout cela sent clairement la démonstration de force. Il y deux ans, nous avons entamé une démarche de revendication collective, avec l’appui du SSP. Après avoir tenu des assemblées du personnel bien fréquentées, nous avons envoyé plusieurs courriers à la direction, dénonçant notamment le management malveillant en cours dans l’EMS.
À mon avis, la direction tente de briser cette résistance collective.

Des salarié-e-s évoquent même une culture de la délation
En effet. Une de nos anciennes collègues nous a confirmé que la hiérarchie lui avait demandé de récolter toutes les informations qu’elle pouvait sur les collaborateurs-trices du home. Certain-e-s intérimaires nous ont aussi dit qu’on avait promis de les engager s’ils-elles surveillaient les employé-e-s fixes.
Les éléments récoltés sont ensuite réutilisés lors d’ « entretiens » visant à mettre le personnel sous pression. Depuis deux ans, ceux-ci se sont multipliés: tout-e employé-e peut être convoqué-e n’importe quand, sans qu’on lui en indique la raison.
Le procédé est toujours le même: le ou la salarié-e fait face à deux membres de la direction, qui commencent à lui reprocher des faits anciens. Dans un deuxième temps, ces responsables lui expliquent la véritable raison de la convocation – tel ou tel « manquement », souvent tout à fait mineur – et l’accablent de reproches. Au cours de ces « entretiens » nos compétences sont remises en cause, on nous met plus bas que terre. Plusieurs collègues en sont ressorti-e-s en pleurant.
Le tout se termine par une « punition »: plusieurs collègues travaillant de nuit ont été muté-e-s de jour durant plusieurs mois – ce qui implique un bouleversement de l’organisation personnelle, notamment pour celles et ceux qui ont des enfants. Une collègue a même dû réaliser un travail écrit à la maison, qu’elle a ensuite dû remettre à la direction. Nous sommes traité-e-s comme de mauvais élèves à l’école !

Quel est le climat aujourd’hui au sein de l’EMS ?
La peur règne sur l’ensemble du personnel, des soignant-e-s à l’intendance.
Personne n’ose parler lors des colloques, car nous craignons d’être convoqué-e-s ou licencié-e-s du jour au lendemain.
Nous travaillons la boule au ventre, sans aucune autonomie. Même pour changer de place un tapis-sonnette au pied d’un lit, il faut faire un colloque.
Il n’y a plus de respect pour notre travail. La pression est permanente: la hiérarchie chronomètre les soins, afin de mettre en concurrence les différentes équipes; la nuit, nous devons faire des tâches ménagères lors des heures creuses; et en cas d’arrêt maladie, une société mandatée par l’EMS nous harcèle par des appels téléphoniques incessants, soi-disant pour « prendre de nos nouvelles ».
Prendre soin de personnes âgées souffrant de démence demande énormément d’investissement. Or en maltraitant le personnel, la direction prétérite aussi les résident-e-s: la démotivation et la multiplication des arrêts maladie entraînent une dégradation de la qualité des soins – et une aggravation de la charge de travail pour les fixes.
J’ai l’impression d’être devenue un robot plutôt qu’une infirmière.
Nous travaillons dans une petite structure, accueillant 48 résident-e-s. Je pense qu’en s’organisant toutes et tous ensemble, il est possible d’aboutir à des améliorations concrètes. Pour cela, il faut dépasser la peur.