Lettre ouverte au Grand Conseil concernant la situation aux HUG

Le Syndicat des Services Publics (SSP) a écrit au Grand Conseil genevois le 1er décembre 2020 pour dénoncer vingt ans de mesures d'économie aux HUG et demander une reconnaissance et de meilleures conditions de travail pour le personnel.

Photo Eric Roset

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les député-e-s,

Le Syndicat des Services Publics, SSP/VPOD, reçoit des nouvelles alarmantes de la part du personnel hospitalier s'agissant tant de leurs conditions de travail et de leurs efforts à tenir le coup lors de cette pandémie, que des effets dévastateurs induits par le mépris affiché par l'employeur à leur égard (blocage des annuités, volonté affichée de diminuer les salaires, attaque sur la CPEG, manque de personnel, etc.).

Et maintenant, le personnel découvre le rapport de la commission des pétitions concernant celle dite des «500 postes aux HUG», remise fin 2019, «pour d’avantage de soignants aux HUG, pour une meilleure qualité des soins et des conditions de travail dignes». Il est interloqué par la pauvreté de la synthèse faite dans le rapport de la majorité et son refus de l’envoyer devant le Grand Conseil.

C’est dans ce contexte, que la presse relaye depuis plusieurs jours l'hypothèse du tri des patients que les hôpitaux devront effectuer en raison du manque de lits et de personnel à disposition. Outre que le SSP découvre avec stupeur qu'on peut dans ce pays, sur la base de simples directives laisser des gens mourir sans autre droit que de se laisser faire, cette pénurie de lits et de personnel est le résultat des politiques des caisses vides menées depuis des années. En effet, notre système de santé a été affaibli année après année par vos plans d’économies sans le moindre scrupule et avec un grand mépris du personnel. Et aujourd’hui vous lui demandez d’énormes sacrifices autant psychiques que physiques, par exemple en basculant la journée de travail de 8h en 12h pour certains services et l’obligeant à des changements d’unités au pied levé extrêmement stressants, mettant à rude épreuve la santé et l’organisation de la vie familiale des personnes concernées et ce pour pallier la situation actuelle de manque de personnel.

Bien avant la création des HUG et des départements en 1995, le SSP a revendiqué une augmentation des effectifs afin d’améliorer les services publics de la santé car pour nous la qualité des soins et les conditions de travail vont de pairs.

Déjà à la fin des années nonante, le personnel s’est mobilisé avec le SSP pour contrer les coupes budgétaires concernant la psychiatrie ambulatoire, lesquelles avaient entraîné un débordement des capacités d’accueil des unités de soins, une dégradation des conditions de travail et un accroissement

des incidents graves. Cette mobilisation a débouché en mai 2000 sur un accord fixant une augmentation significative des effectifs et permettant ainsi une amélioration de la prise en charge des patients psychiatriques avec la création des centres de thérapie brève par secteur.

A la suite de ce mouvement, le personnel des HUG avec les syndicats ont établi un cahier de revendications portant sur l’amélioration des prestations et des conditions de travail dans tous les départements des HUG. Le Conseil d’Etat a alors admis la nécessité de financer ces revendications ô combien nécessaires. Un nouveau protocole d’accord signé en 2002 par la Direction des HUG et les syndicats établissait notamment le renforcement de la dotation de base sur 4 ans de 474 postes – une diminution des lits, 16 par unité – un aménagement des conditions de travail en fin de carrière – une meilleure compensation et organisation du travail de nuit – une diminution progressive des horaires coupés – l’aménagement des conditions de travail et le reclassement du personnel ayant des problèmes de santé – l’information et la consultation du personnel soignant sur la politique de soins et les pratiques des services.

Cependant dès 2004, de nouvelles coupes budgétaires remettent en cause le protocole d’accord de 2002. Le conseiller d’Etat à cette époque, Monsieur Pierre-François Unger lui-même, reproche à la commission des finances cette décision, «c’est un mauvais amendement» dit-il à la Tribune de Genève et celle-ci écrit encore qu’«il déplore également le fait que cette décision de la majorité de droite "rompe sans négociation un accord passé entre la direction d’un établissement autonome et les syndicats"».

Ces coupes budgétaires vécues par le personnel ont précédé le coup de massue des fameux plans Victoria (2007, 2008) et Per4mance conçus avec l’aide de Boston Consulting Group engagé par les HUG qui a coûté de 30 à 50 millions selon la Cour des comptes.

La cure d’austérité réalisée sur le dos de l’ensemble du personnel et des patients est énorme : la suppression d’au moins 335 postes et d’au moins 100 millions de francs.

Le SSP a alors écrit aux partis politiques et aux associations de médecins pour les alerter des décisions catastrophiques prises, malheureusement avec peu d’échos. Une pétition a été remise au Conseil d’Etat pour laquelle nous avons été reçus mais une nouvelle fois restée sans suite.

Victoria, Per4mance ont été suivis de plusieurs Plans stratégiques qui ont accompagné la marchandisation de la santé.

Celui de 2010/2015 a accompagné la mutation du financement des hôpitaux avec la facturation par cas ou SwissDRG en 2012, déjà décrié partout en Europe où il avait été implanté.

Ce plan a diminué la proportion de soignants aux pieds du lit et multiplié les fonctions managériales opérationnelles, bien loin du pied du lit du patient, avec des «quality officer» et des «case-manager», mais aussi avec des codeurs à la recherche de tous les soins facturables et des contrôleurs de la trajectoire du patient contraignant les médecins à rédiger des lettres pour justifier les soins. L’ensemble du personnel, médecins, secrétaires, soignants, cadres, etc., est alors surchargé de procédures bureaucratiques de plus en plus encombrantes. Le Conseil d’Etat confirme lui-même dans cette période un accroissement de l’intensité du travail et un montant des recettes par ETP en hausse de 17%, sans aucune compensation d’effectif ni allouée, ni prévue.

A partir de là clairement le soin devient un produit, les soignants des fournisseurs de prestations et la santé une marchandise ! Le patient, nommé client, est lui piégé avec des assureurs qui chaque année, augmentent leurs primes et négocient le prix des SwissDRG et le coût de production, contraignant le personnel à faire plus avec moins. De nouvelles professions comme les assistant-es en soins et santé communautaire sont alors pleinement employé-es avec des responsabilités accrues sans reconnaissance salariale à ce jour.

L’outil informatique mesurant actuellement la charge de travail en soins révèlent «la lourdeur» en hausse année après année.

Des lieux si sensibles, comme le département de pédiatrie, sont anémiés et la direction répond aux compte-gouttes aux revendications syndicales pour pallier au manque d’effectifs.

Le SSP a dénoncé durant des années le manque de personnel à la dotation de base et l’exploitation des intérimaires. Face à la pandémie de la Covid19, les HUG, se trouvant dramatiquement dégarnis, n’ont pas eu d’autres choix que de pérenniser les intérimaires sans augmenter réellement pour autant le nombre de postes.

Dans le département d’exploitation des économies sont réalisées en poursuivant les externalisations d’un nombre croissant de tâches dans tous les secteurs, celui de l’entretien des locaux non liés aux soins; du transport des patients; dans le service de la menuiserie; dans la sécurité ou le transport du linge, précarisant un nombre considérable de personnel.

Le plan stratégique Vision 20/20 a, quant à lui, d’abord refondu les départements ce qui a eu pour conséquence d’augmenter le nombre de services pour certains départements et le nombre de lits pour certains services (par exemple de 16 à 31 lits aux Trois Chêne) et surtout il a introduit une nouvelle forme de recherche d’économie par le Lean Management pour littéralement «dégraisser».

En 2018, malheureusement la volonté néolibérale de casser l’hôpital public a fait un pas de plus, avec le Lean management qui a porté pour les HUG le nom de «Plus de temps pour les Patients». Pour l’appliquer les HUG se sont appuyés sur les travaux de 5 consultants, de Medizinisch Wissenschaftliche Verlagsgesellschaft, résumé dans un livre « Plus de temps pour les patients; une approche de Lean management dans les unités de soins», distribué aux membres du Conseil d’Administration et préfacé par le directeur médical et la directrice des soins eux-mêmes.

Si les soins aux patients sont considérés comme des produits depuis le plan 2010/2015 et l’entrée en vigueur des SwissDRG en 2012, avec le plan 20/20 il s’agit de considérer les soins sur une ligne de production, les patients comme des objets avec un personnel robotisé. Le livre fait référence aux «tactiques de production de Boeing» dont celle d’instaurer «une cadence» et il donne des exemples concrets de réductions de prestations. Le projet vise à rationaliser et à fractionner les procédures des prises en charge dans le but de trouver le moyen de les «dégraisser». C’est une dégradation flagrante de la qualité des soins et des conditions de travail. Le vocabulaire de «flux tendu» est utilisé pour presser comme un citron le personnel.

Le personnel soignant est aussi soumis à un nouveau modèle d’évaluations périodiques des compétences avec des critères choisis pour faire pression sur ses sentiments et ainsi le pousser à se croire dans un «monde imaginaire idéal, dans lequel la performance et l’excellence n’auraient pas de limite». Le but poursuivi est de le persuader qu’il est lui seul responsable de ne pas parvenir à faire plus avec moins. Ces critères d’évaluation et les soi-disant valeurs décrites dans le livre publié par les HUG sont scandaleux! Le personnel est accablé par ces méthodes.

C’est en octobre 2019 que les HUG ont annoncé un partenariat public-privé (PPP) où un grand nombre de métiers seraient affectés et soumis-e-s à un contrat de droit privé, et ce pour créer un centre de chirurgie ambulatoire avec Hirslanden, groupe propriétaire des cliniques des Grangettes et de la Colline et dont la direction est, comme nous le savons, d’orientation bien libérale.

Pour le SSP le plan stratégique 20+5 n’augure rien de bon pour le service public de la santé. En effet, après avoir soumis l’hôpital public à la marchandisation et aux enjeux de la concurrence, ce plan tentera d’être celui du dépeçage et de la vente des parties rentables aux privés, privant ainsi la population d’un service public de la santé capable de répondre à une pandémie.

En additionnant année après année les économies obtenues, on parvient à des sommes faramineuses qui manquent dramatiquement à l’hôpital public alors que selon le rapport de gestion des HUG, la population a dépassé le seuil de 500'000 en 2018; qu’elle vieillit; que les maladies chroniques et la lourdeur des cas augmentent; que la proportion des patients ayant une pathologie avec une complexité importante est en hausse.

Presque 20 ans après le 1er plan d’économies, jusqu’à 1000 collaborateurs de plus auraient dû être présents durant cette crise et nous font cruellement défaut. En effet, en lieu et place de créer début des années 2000, presque 500 postes les Conseils d’Etat successifs ont choisi d’en éliminer au moins 500; 10% d’employé-e-s ferait à coup sûr la différence.

Le personnel accompagne la population dans cette situation anxiogène vivant lui-même de terribles incertitudes pour sa santé et celle de ses proches. Il fournit un effort considérable dans des conditions déplorables dont les autorités sont grandement responsables.

A de multiples reprises, durant ces 20 dernières années, notre syndicat s’est efforcé de freiner les élans dévastateurs des politiques appliquées par les gouvernements.

Aujourd’hui, le SSP demande la modification du financement hospitalier et exige une réflexion en profondeur avec tous les acteurs, dont les salariés qui détiennent une vaste palette de savoir-faire et de connaissance pratiques afin de réarmer le système de santé et particulièrement les Hôpitaux Universitaires de Genève et entrer dans le cercle vertueux de rendre les professions de la santé plus attractives.

Le SSP exige la protection psychique et physique du personnel avec le respect des statuts et des règlements, une augmentation des effectifs, la prise en compte des revendications de la pétition «pour une valorisation des salaires des métiers de soins et d’entretien» et celles s émises lors de la semaine d’actions nationales «Ensemble avec le personnel de la santé» ainsi que le retrait du projet de loi, PL 12780 prétéritant les salaires.

En souhaitant vivement que vous serez, cette fois-ci prêt-e-s à écouter et à répondre favorablement aux attentes du personnel de la santé de ce canton et particulièrement des HUG, nous vous transmettons, Mesdames et Messieurs les député-e-s, nos salutations distinguées.

Pour le Comité directeur SSP

Vincent Bircher