Dans le social, la colère gronde

de: Interview Guy Zurkinden

GENÈVE . Dans le secteur social, les maladies et quarantaines exacerbent le sous-effectif structurel. Épuisé, le personnel est récompensé… par une baisse des salaires. Questions à François*, éducateur en foyer.

Photo Eric Roset

Nombreux lors des mobilisations de cet automne, les salarié-e-s du social dénoncent des conditions de travail qui se durcissent. Quelle est la situation sur votre lieu de travail?

François – Mon travail consiste à accompagner des adultes en situation de handicap vivant dans un foyer. Nous les épaulons dans les tâches quotidiennes et administratives, mais aussi dans la construction d’un projet de vie.
En raison de leur situation, ces résidents peuvent avoir de nombreuses difficultés à être en lien avec la réalité, ou se sentir bien dans leur corps. Comme éducateurs, nous pouvons faire face à des insultes, parfois nous interposer lors de conflits. Notre métier est pénible – mentalement, mais aussi physiquement. Une pénibilité rarement reconnue par les employeurs.
Depuis plusieurs années, notre travail est compliqué par le sous-effectif – créé par les décisions politiques faisant de la fonction publique une variable d’ajustement budgétaire.
Nous travaillons ainsi à flux tendus et accumulons les heures supplémentaires – qui ne sont jamais payées, mais récupérées en temps.

Quel effet la pandémie a-t-elle dans ce contexte ?

Lors de la première vague, les sorties pour les usagers ont été interrompues. Les visites n’étaient plus possibles, ce qui était source de tensions. Aujourd’hui, les usagers peuvent continuer à sortir, même si c’est fortement déconseillé. Cette situation augmente les risques d’infection. Car expliquer le danger d’un virus invisible, donc abstrait, à des personnes souffrant de handicap est un exercice difficile. Même chose pour le respect des gestes barrière et le matériel de protection.
Mais au printemps comme aujourd’hui, le problème principal est le sous-effectif structurel. Ce dernier a été brusquement accentué par les maladies et les quarantaines dues au Covid-19.

Votre institution a-t-elle compté de nombreux cas d’infection ?

Au cours de la dernière semaine d’octobre, nous avons connu une flambée de cas. Celle-ci a touché tant les collaborateurs que les résidents, ce qui a engendré une diminution drastique du personnel accompagnant. Certains lieux ont dû fermer temporairement, car il n’y avait plus assez de monde pour y travailler. Toutes les activités externes ont dû être annulées ou reportées.

Quelle a été la conséquence pour vos conditions de travail ?

Si le personnel avait été plus nombreux, nous aurions pu remplacer les collègues malades et mieux gérer la situation. Mais les quarantaines et les maladies se sont ajoutées au sous-effectif structurel. À certains endroits le manque de personnel était tel que, une fois épuisé le nombre des collègues, il a fallu embaucher des remplaçants au pied levé.
En temps normal, nous sommes déjà soumis à un stress très important, qui augmente encore avec cette situation incertaine.

Qu’en est-il du matériel de protection ?

Gants, gel hydroalcoolique, masques, thermomètres: le matériel de protection nécessaire aux équipes éducatives arrive au compte-gouttes. Les stocks commencent à s’épuiser.
Le médecin cantonal a décrété que le social, ainsi que ses différentes institutions, n’est pas un secteur prioritaire. Les masques ne nous sont donc plus distribués. Cette décision nous laisse perplexes, car nous comptons des personnes à risque, notamment chez les bénéficiaires, au sein de notre institution. Des actes médicaux y sont aussi prodigués par du personnel soignant.
Conséquence de cette situation: nous sommes obligé-e-s d’acheter ce matériel de protection, en utilisant pour cela le montant destiné à d’autres activités.
Tout cela indique que les autorités compétentes ne se sont pas préparées correctement à cette deuxième vague, pourtant annoncée.

Comment le personnel réagit-il ?

Nous recevons beaucoup de directives d’en haut, parfois contradictoires. Mais sur le terrain, c’est une toute autre histoire.
Heureusement, nous nous entraidons beaucoup au sein des équipes ou entre les équipes.
En parallèle, nous essayons de centraliser et faire remonter les demandes du personnel vers la direction générale. Mais nous ne sommes jamais sûrs si l’information est bien passée ou non.

Quelles sont les mesures qui permettraient d’améliorer la situation ?

Face à la montée de la pandémie et ses conséquences sur notre travail, nous avons reçu des remerciements de la population, mais aussi de notre employeur.
Mais le coronavirus ne fait qu’exacerber le sous-effectif qui sévit depuis plusieurs années, et frappe l’ensemble du secteur social. Alors qu’en parallèle, l’aspect administratif prend de plus en plus de place, ce qui nous éloigne un peu du cœur de notre travail: créer avec la population que nous accompagnons des projets éducatifs et pédagogiques leur permettant de mieux vivre dans la société.
Pour mieux faire notre travail, c’est de personnel supplémentaire dont nous avons besoin. Ainsi que de distributions du matériel de protection.

Le social est très présent dans les mobilisations contre les baisses salariales…

La baisse des salaires proposée par le Conseil d’Etat a scandalisé les collègues du social, renforçant le sentiment de manque de reconnaissance de nos professions – alors que nous sommes aussi en première ligne dans cette pandémie !
Sans la deuxième vague de Covid-19, nous aurions été 18 000 dans la rue pour dénoncer les décisions du Conseil d’Etat. Dans mon secteur, le mouvement a bien pris, grâce à l’activité des délégations syndicales. La colère est plus forte qu’en 2015. Et la grève est perçue comme un outil de lutte légitime et efficace.
Lors de la troisième journée de mobilisation, le 18 novembre, la participation a été plombée par l’accord conclu entre les partis politiques, ainsi que les restrictions au droit de manifester. Un nombre important de collègues malades sont aussi restés à la maison.
Le Conseil d’Etat a renoncé à la coupe linéaire de 1% sur les salaires, une mesure qui n’avait aucune chance d’être acceptée par le Grand Conseil. Il maintient en revanche les autres mesures – non-indexation des salaires, non-versement de l’annuité et augmentation de la cotisation des employé-e-s à la CPEG. Ensemble, ces mesures entraîneraient une perte de salariale entre 6% et 8%.
La bataille ne fait que commencer. L’envie de lutter reste présente sur les lieux de travail.
Nous devons maintenir la pression et élaborer nos réponses syndicales aux problèmes sociaux qui s’aggravent.

*Prénom d’emprunt