Chroniques d’un racisme ordinaire aux HUG

de: Fabienne Vuilleumier Künzi

Au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), plusieurs soignantes ont vécu des discriminations douloureuses, liées à la couleur de leur peau. Témoignages.

Manifestation du 9 juin 2020 à Genève (image d'illustration). Photo Eric Roset.

Il était une fois aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), une jeune femme formée, compétente, motivée qui arrive à l’hôpital pour son premier jour de travail. Dans le service, à l’heure de la pause repas, une collègue demande: «Qui vient manger avec moi?». La nouvelle arrivée répond: «Moi, volontiers». Mais l’autre lui réplique: «Pas toi, tu n’es pas mon amie».

La jeune femme est une aide-soignante, noire.

Suspendue sans salaire

Il était une fois aux HUG, une femme très compétente, avec quinze ans d’expérience dans les soins. Lors d’un retour de vacances, elle est suivie, espionnée par quelques membres du personnel. Mission: débusquer une faute professionnelle, quelle qu’elle soit. Et quand on cherche, on trouve. On lui reproche d’avoir volé du matériel médical à son profit, d’avoir commandé des articles interdits. Trois éléments à charge sont relevés par sa cheffe. Lors de l’enquête officielle, le soufflé retombe: il est démontré que cette femme est totalement innocente. Eh bien, elle est sanctionnée malgré tout, sans preuve aucune, et suspendue sans salaire. En instance de divorce avec quatre enfants à charge, elle se retrouve aux services sociaux.

Ah, j’oubliais. Cette femme est aide-soignante et intendante. Mais surtout, elle est noire.

Licenciée sans motif

Il était une fois aux HUG, une aide-soignante motivée à se former en santé communautaire (ASSC). Lors de l’annonce d’une nouvelle formation, elle possède tous les critères requis: deux ans d’expérience à l’hôpital, cinq ans de pratique dans les soins; elle réside et paye ses impôts à Genève. Mais son chef refuse d’accepter son dossier. Et quand elle l’interroge, il lui explique que, de toute façon, il est contre sa nomination. Elle insiste. Alors on la fait évaluer, et on conclut à un «manque de communication». Elle refuse de signer le document. On la change de service, dans le but de la faire évaluer à nouveau. La hiérarchie fait chercher l’erreur professionnelle par ses collègues. Une nouvelle évaluation a lieu. Elle est négative, mais sans fondement aucun. À nouveau, on parle de manque de communication. L’aide-soignante refuse de signer, tombe malade. Elle est licenciée.

Ah, j’oubliais. Cette femme est noire.

Sanctionnée sans preuve

Il était une fois aux HUG, une aide-soignante appréciée. Un jour son collègue, un homme, l’accuse de l’avoir frappé. Elle dit que ce n’est pas vrai. Il n’y a pas de témoin. C’est lui qui le dit, mais c’est elle qui est accusée et sanctionnée sans preuve. Dégradée, elle passe de fonctionnaire à employée.

Ah, j’oubliais. L’homme est blanc, elle est noire.

Le racisme avance masqué

Aux HUG, probablement qu’on n’entendra jamais des phrases comme «Sale noire, dégage!». C’est bien plus subtil que cela. On se permet, avec une personne noire, des comportements inexistants ou rares avec les autres. Des insultes devant les patients, des moqueries qui sont censées être de l’humour. Des doutes sur les compétences: «Tu as compris ce que je t’ai dit?» De la méfiance, de la suspicion, la mise à l’écart sociale durant les pauses repas ou les sorties.

Que fait la direction?

Il est connu que la peur peut entraîner le rejet de celui ou celle qui est différente. Mais n’y a-t-il pas une responsabilité des HUG, de leurs ressources humaines, à veiller à ce que toute personne engagée pour ses compétences, peu importe la couleur de sa peau, puisse évoluer dans un milieu professionnel respectueux, valorisant et stimulant?


Ces témoignages ont été recueillis et mis en forme par l’autrice à l’automne 2019.