« L’AG du 5 novembre sera cruciale »

de: Interview Services Publics

Sous-effectif structurel, budget en trompe-l’œil, blocage salarial, projet Score: la fonction publique est confrontée à des défis d’ampleur. Questions à Anne Michel et Fabrice Scheffre, coprésident-e-s du SSP – Région Genève.

Photo Eric Roset

Le Conseil d’Etat a présenté un projet de budget 2020 prévoyant la création de 412 nouveaux postes. Un pas en avant ?

Anne Michel Plutôt de la poudre aux yeux. Le budget 2020 prévoit 412 nouveaux équivalents plein temps (EPT), pour un coût total de 60 millions de francs.
Ces postes sont totalement insuffisants face aux besoins, car des secteurs entiers du service public souffrent d’un cruel sous-effectif. Ensuite, bon nombre d’entre de ces «nouveaux» EPT existent déjà sur le terrain. Ils seront transformés en postes fixes, mais ne se traduiront pas par des embauches supplémentaires.
La répartition de ces postes ne répond pas aux besoins les plus criants. Si on compte 98 EPT dans l’enseignement et 22 dans la sécurité, d’autres secteurs sont totalement laissés de côté: seulement quatre EPT à l’Institution genevoise de maintien à domicile (IMAD), rien aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG, dont le budget baisse même de 1%!), rien à la protection des mineurs ou à l’Hospice général. Pourtant, tous ces établissements souffrent d’une grave pénurie de personnel!

Fabrice Scheffre – Il faudra aussi observer où ces postes sont créés. Ces dernières années, on a connu une inflation des postes d’encadrement, au détriment des emplois sur le terrain. Les postes destinés au contrôle des salarié-e-s, souvent de manière très bureaucratique, se multiplient. Alors que les prestations de service public, destinées aux usager/-ères, passent au second plan.

Anne – Ajoutons que le Conseil d’Etat ne prévoit rien pour revaloriser les rémunérations liées aux emplois féminisés. Rien non plus en faveur de l’égalité. Les revendications de la grève féministe sont totalement ignorées.

En parallèle, le Conseil d’Etat veut bloquer les salaires…

Fabrice – Ce que le gouvernement donne d’une main, il le retire de l’autre. L’exécutif prévoit de bloquer l’annuité en 2020 puis 2022, et ne pas indexer les salaires jusqu’en 2024! Il veut aussi supprimer le double salaire versé lors du départ à la retraite. Au total, l’Etat économiserait 83,5 millions sur le dos du personnel – 20 millions de plus que ce qu’il accorde en nouveaux postes!

Quelles sont les causes du déficit, annoncé à près de 500 millions de francs?

Anne – Globalement, le projet de budget prévoit d’économiser sur le dos de la fonction publique. Les causes du déficit prévu se trouvent donc ailleurs.
Elles sont d’abord la conséquence de ce gigantesque cadeau fiscal qu’est la réforme de l’imposition des entreprises (la RFFA et son volet cantonal) – alors que lors de la campagne de votation, on nous annonçait que ce cadeau fiscal serait indolore. À cela s’ajoute le financement du plafond cantonal pour les primes d’assurance maladie, présenté comme une « mesure de compensation » à la RRFA. En troisième lieu, le montant consacré à la recapitalisation de la Caisse de pensions de l’Etat de Genève (CPEG).

Comment s’annonce le débat au Grand Conseil?

Anne – Tout dépendra de notre mobilisation. Si elle est forte, les politiques seront sous pression et nous pourrons exiger des améliorations. Si elle est faible, la droite n’aura aucune hésitation à charger la barque et à supprimer une partie des postes prévus.

Fabrice – Nous devons avant tout compter sur nos propres forces. Après, nous verrons quel soutien nous recevrons des partis politiques.

La mobilisation se prépare?

Fabrice – Le Cartel intersyndical de la fonction publique, dont fait partie le SSP, organise une assemblée générale de la fonction publique, le 5 novembre prochain. Nous y débattrons les enjeux liés au budget, ainsi que les derniers développements du projet de nouvelle grille salariale. Ce sera aussi l’occasion de faire le point sur la situation dans les divers lieux de travail.

Anne – Cette AG aura une grande importance. C’est elle qui définira nos revendications communes et les mobilisations nécessaires pour les défendre. Il est important d’y venir nombreux/-euses!

Assemblée générale de la fonction publique
Mardi 5 novembre, 20 h
Salle du Faubourg, Genève

Repérages

SCORE: LE PRIVÉ COMME MODÈLE

Au niveau salarial, Score aura un impact décisif. Où en est ce projet?

Anne – Score prévoit de revoir totalement l’évaluation des fonctions, et donc la grille salariale de la fonction publique. L’objectif de l’exécutif est d’appliquer la nouvelle grille dès 2021.
Les informations dont nous disposons restent lacunaires. Le projet définitif devrait être présenté par le Conseil d’Etat au mois de novembre, avec un délai de deux mois pour réagir – ce qui est trop court pour analyser le projet, consulter les salarié-e-s, définir une position commune puis la défendre.

Fabrice – Score a pour objectif d’aligner le service public sur les pratiques du privé. Concrètement, cela veut dire: augmenter la rémunération des cadres et baisser celle des professions au bas de l’échelle salariale.
Cela n’entraînera pas de baisses sèches des salaires pour les personnes en place, mais un blocage de leur rémunération pour celles et ceux dont la courbe de progression sera supérieure à celle de la nouvelle grille salariale.
La philosophie de Score est celle de l’individualisation et de la mise en concurrence: dans le social, des fonctions pourraient être réévaluées; dans l’administration, les pertes s’annoncent importante; dans l’enseignement, on tend vers le statu quo; dans la santé, des hausses sont prévues, mais elles seront compensées par la baisse des indemnités. Certaines catégories d’employé-e-s risquent gros: selon nos informations, les nettoyeurs/-euses des HUG perdraient 190 000 francs sur une carrière!

Anne – L’enjeu sera de dépasser les calculs individuels pour trouver des revendications communes.